Le suffixe ÈIR prononcé ÈI correspond à « ier » français, la forme féminine étant ÈIRA. Ce suffixe a servi à former un nombre considérable de mots, sur le modèles des mots latins terminés en ĕriu/ĕria et ariu/aria, comme ministĕriu qui donne mestèir « mêtier », februariu qui donne feurèir « février », fĕria qui donne fèira « foire », bovaria qui donne boèira « paire de vache ». Les linguistes admettent que la convergence entre ĕriu et ariu comme entre ĕria et aria n'est pas une évolution phonétique régulière mais la reconstitution du vocabulaire autour d'un seul suffixe, celui issu de ĕriu/ĕria, qui s'est substitué à ariu/aria. Autrement dit, des mots comme februariu ont probablement eu une forme feurair qui a été refaite en feurèir, par substitution du suffixe AIR par ÈIR.
L'occitan connaît suivant les endroits différentes formes pour ce suffixe, ce sont IÈR, ÈIR, IÈIR, ÈR. Le département de la Haute-Loire connaît deux formes, IÈR et ÈIR, l'une étant localisée sur un moitié sud, l'autre sur une moitié nord. Dans sa Géographie phonétique de la Haute-Loire, Pierre Nauton a montré comment s'est effectuée la séparation entre IÈR et ÈIR, je reprends ici l'analyse qu'il en a faite. Nous verrons en particulier qu'elle nous indique qu'une zone avait une forme ÈR mais que celle-ci a été remplacée par IÈR.
Pierre Nauton a d'abord utilisé le mot latin cŏriu « cuir » pour éclairer l'évolution du suffixe ŏriu et par extension celle le suffixe ĕriu et ariu. Ce que nous connaissons des évolutions en roman II et II nous permet de reconstituer l'évolution supposée pour les parlers occitans
Evolution initiale de cŏriu pour les parlers occitans |
|||||
|
R I |
R II |
R III |
R IV |
forme écrite |
cŏriu « cuir » |
còryo |
còiro > còir |
cuòir > còir > cèir = kèir |
|
|
Les parlers occitans actuels ont le plus souvent cuèr KẈÈR et la Haute-Loire elle même présente trois formes phonétiques principales : KẈÈR (en réalité prononcé [ tjɥɛʀ ] ), KÈR et KÈI. Il semble que ces trois formes sont issues d'une simplification de UÈIR. En effet, la prononciation de UÈIR étant trop complexe, elle devait se simplifier. On a eu une première séparation entre une zone sud qui a simplifié UÈIR en UÈR, et une zone nord qui a simplifié en ÈIR. Plus tard, ÈIR s'est lui-même simplifié soit en ÈI soit en ÈR suivant une nouvelle fragmentation.
Séparation de cuèir en Haute-Loire |
|||||
|
R I |
R II |
R III |
R IV |
forme écrite |
cŏriu « cuir » |
|
|
kèir > kèr |
kèr |
cuèr |
kèir > kèir |
kèr |
cuèir |
|||
kèi |
cuèir |
Ce qui vient en appui de ce scénario est que l'on retrouve la même répartition géographique pour d'autres simplifications analogues, ainsi UÈIR > UÈR / ÈIR correspond également à IÈIR > IÈR / ÈIR ; et la séparation de ÈIR en ÈI/ÈR coïncide exactement à celle de ÒUR en ÒU/ÒR
Sainte-Sigolène est dans la zone ÈI, et a donc cuèir prononcé KÈI. On peut avoir occasionnellement KWÈI mais il s'agit là de la forme arpitane.
L'évolution régulière du suffixe latin ĕriu a été ĕriu > èrio > èir ; il semble que cette évolution n' a pas atteint le stade IEIR par diphtongaison de È devant I, ainsi que nous l'avons indiqué dans l'article portant sur la diphtongaison de È et de Ò en roman III.
Les parlers qui connaissent le suffixe ÈIR et le prononcent ÈI présentent une irrégularité apparente pour le pluriel qu'ils prononcent ÈR.
L'explication est que ÈIRS étant une forme plus complexe que ÈIR s'est probablement simplifié plus tôt en devenant ÈRS. Les premiers comptes de Montferrand en Auvergne, en 1274, présentent de façon régulière « ers » pour le singulier sujet et le pluriel régime, « eir » pour le singulier régime (ce sont les plus anciens documents de comptabilité communale d’Europe occidentale que l’on possède). On peut illustrer un exemple similaire avec OUR en zone francoprovençale : Marguerite d'Oingt ( vers 1300) emploie resplandour cas objet et resplandors cas sujet.
Le passage de ÈRS à ÈR et de ÈIR à ÈI sont plus récents.
Sainte-Sigolène présente une singularité qui est d'opposer un singulier en ÈI avec un pluriel en ÈRI, mais ÈRI doit être compris ici comme une surévolution d'un ancien ÈRS. On a ainsi mestèir MEITÈI et mestèirs MEITÈRI (« métier à tisser »). L'articulation d'un I en fin de mot semble être un résidu du S, on la retrouvera dans d'autres formations dont nous parlerons plus tard.
Dans le cas du féminin, on a ÈIRA et ÈIRAS qui sont prononcés à Sainte-Sigolène [ ’ɛiʀ(ɔ) ] et [ ’ɛiʀa ]. Il n'y a pas lieu d'attendre ici une simplification dans la mesure ou ÈI et RA forment deux syllabes distinctes.
Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021 / [ Télécharger l'ouvrage ]
Quelques notions de phonétique articulatoire
Le système vocalique du roman occidental
Palatalisation de C et de G devant E et I (première palatalisation)
Sonorisation des consonnes intervocaliques sourdes
Palatalisation de C et de G devant A (segonde palatalisation)
Effacement des voyelles finales E et O
Effacement des voyelles posstoniques
Affaiblissement de B intervocalique
Affaiblissement de D intervocalique
Affaiblissement de DH intervocalique
Affaiblissement de G intervocalique
Effacement de N instable en fin de mot
La diphtongaison de È et de Ò en roman I
La diphtongaison de E et de O en roman II
La diphtongaison de È et de Ò en roman III
Formation de U antérieur, fermeture de O ( Ụ )
Le système vocalique sigolénois
Séparation de A antérieur et de A postérieur
Simplification des triphtongues
Effacement des consonnes finales
Consonantification des voyelles
Les articles et pronoms démonstratifs