L'article que nous commençons ici va traiter du cas de L de fin de mot ou de fin de syllabe.
On appelle vocalisation le changement de nature d’une consonne qui devient voyelle. En roman, quand L était placé devant une consonne, il s'est très souvent vocalisé en U [ u ]. En français, cette vocalisation a probablement commencé avant le 10° siècle, mais ce n’est que très tardivement qu’on a systématisé l’écriture U à la place de L (16° s.). La situation est similaire en occitan, l’écriture de L a été maintenue tardivement. On a cependant des parlers occitans qui n’ont pas réalisé cette vocalisation, ou au moins pas devant toutes les consonnes.
♦ chaud [ tsau ] « chaud », autre [ autʀ(ø) ] « autre », malaute [ ma'laut(ø) ] « malade », mauvirar [ muvi'ʀa ] « mal tourner »
Prenons le cas de sal « sel » comme témoin de L en fin de mot. Les parlers occitans ont généralement sal ou sau. La forme sau est le résultat d’une vocalisation de L. Pour les parlers de l’est du Velay, la vocalisation ne s’est pas faite dans ce contexte: sal, mal, Sant Pal, Monistròl, mais la plupart des parlers ayant connu l’amuïssement des consonnes finales (comme en zone arpitane), L en fin de mot n'est plus prononcé. A Sainte-Sigolène, l'effacement est la règle, on a cependant quelques mots qui ne sont connus que sous la forme vocalisée : pau pour pal.
Pour la position proclitique, nous allons prendre le cas de chal « il faut ». Les parlers yssingelais qui conservent les consonnes finales ont une double forme, chal devant une voyelle, chau devant une consonne « chau batalhar, chal estripar » (Elisabeth Darcissac, Le Chambon-sur-Lignon). A Sainte-Sigolène, on a également un double traitement, mais L n'est pas prononcé, chal est [ tsa ] : te chal enanar [ tøtsaøna'na ] « il faut t'en aller», te chau partir [ tøtsupaʀ'tji ] « il te faut partir ». chal tonique est prononcé [ tsa ] : coma chal [ 'kumɔ tsa ] « comme il faut ». Cependant, les articles contractés au et dau ne connaissent pas de double traitement, il ne sont jamais al, dal (al et del en langue classique)
A noter que mal est prononcé [
ma ] quand il est nom commun, mais quand il est
adverbe, il est mau [
mau ]:
♦
me vòlan de mal [
mø’vɔl dø’ma ]
« ils me veulent du mal » ou « on me
veut du mal »
♦ aquò es pas mau [
kwi pa’mau ]
« c’est pas mal »
♦ lo
paure èra mau vegu(t) [
lø’pauʀ
’ɛrɔ mau vø’djy
] « le pauvre était mal vu »
♦
marca-mau [
maʀka’mau ]
« qui présente mal »
♦ aquau
mau-aprés [
aku’mau a’pʀɛi
]
« ce mal appris »
Les pluriels connaissent la vocalisation :
♦ fial [ fja ] « fil », fiaus [ fjau ] « fils »
Nous l’avons déjà dit pour sal, L ne s’est pas vocalisé en fin de mot à Sainte-Sigolène, comme dans toute la partie est du Velay. Pourtant, dòl est devenu dòu prononcé [ dɛu ], et il en est ainsi de tous les mots terminés par ÒL : Monistròl, vòl « il veut », eschiròl « écureuil », javanhòl « chat-huant », ... Nous avons vu que [ ɛu ] représente la prononciation de ÒU, nous ne chercherons pas ici à identifier par quel processus s’est opéré ce passage de ÒL à ÒU, nous constaterons qu’il ne concerne qu’une zone géographique limitée à la partie la plus orientale de l’Yssingelais. Les communes limitrophes de Monistrol-sur-Loire et Lapte, ont ÒL > Ò.
Un des aspects de l'affaiblissement de L est qu'il peut y avoir insertion d'une voyelle. Ainsi l'occitan a souvent IL > IAL : abril > abrial « avril », fil > fial « fil », … A Sainte-Sigolène, l'insertion de A se fait après I mais aussi après E et È; L final est ensuite tombé : aprili > abrial [ abʀi'ja ], mĕl > mèl > meal [ mja ] « miel », cĕlu > cèl > ceal [ sja] « ciel », chandeala [ ts'djal(ɔ) ] « chandelle », tèla > teala [ 'tjal(ɔ) ] « toile », mostèla > mosteala [ mu:'tjal(ɔ) ] « belette », gèl > geal « gel » [ dzja ] .
Devant A , les voyelles fermées E et I sont devenues Yz et Y. Yz est maintenant confondu avec Y mais s'en distingue en ne palatalisant pas les consonnes, ainsi ceal est [ sja ] et pas [ ∫ja ], esteala « étoile » est [ ei'tjal(ɔ) ] et pas [ ei'tjjal(ɔ) ].
L'insertion se produit aussi entre U et L, un O est inséré : cul > cuol [ tjjiu ].
L'insertion vocalique se produit entre È et U lorsque ce U est issu de la vocalisation d'une voyelle, que ce soit L ou V, on a donc solèus > soleaus « nausée », be(n)lèu > be(n)leau > be(n)liau « peut-être » (qui est prononcé irrégulièrement [ bjau ] au lieu de [ bøjau ] peut-être sous influence d'autres parlers), neaulas « brouillard ».
Nous allons voir ici le cas de L final issu de L double latin en prenant comme exemple caballu devenu chaval, mais ce que nous dirons ici pour caballu s’applique à tout L double.
LL latin avait un timbre palatal, et a connu des évolutions différentes suivant les parlers. Pour ce qui est de l’Yssingelais, il est devenu L simple et a évolué comme celui-ci, c’est à dire qu’il s’est effacé dans la plupart des parlers. Pour ce qui est du Velay ouest, il est resté palatal, chavalh, vedèlh, mais LH s’est ensuite effacé en laissant un Y qui a formé une diphtongue avec la voyelle précédente. En gascon, il est devenu TH: cavath, vedèth.
Cependant, pour nos patois du Velay Est, le traitement de L double n’est pas exactement celui de L simple, dans le cas de « LL », il n’y a pas eu d’insertion de A comme cela s’est produit pour fial, meal, ... On a par exemple pèl [ pe ] « peau » et pas peal (latin pellis), chapèl et pas chapeal, mantèl, vèl, anèl, anhèl, augèl « oiseau », batèl, bèl « grand », chancèl « cercueil », chastèl, … Les pluriels ont cependant L vocalisé: chavaus [ tsavau ] , chapeaus, manteaus [ m'tjau ], veaus [ vjau ], aneaus [ a’njau ], anheaus [ a’ɲau ], augeaus, bateaus, beaus, chanceaus « cercueils », chasteaus, ...
Pour stella, on a esteala; on devrait à priori s’attendre à trouver estela, c’est en fait que LL était devenu L simple dès la fin du latin chaque fois qu’il suivait une voyelle longue. Il a donc été traité comme un L simple en roman.
Rappelons que EA se distingue de IA en ne palatalisant pas la consonne précédente : bateaus [ ba’tjau ] et pas [ ba’tjjau ], aneaus [ a’njau ] et pas [ a’ɲau ].
Ò devant l'ancien LL est devenu OA : ücŏllu > còl > coal [ kwa ] « cou », ümŏlle > mòl > moal [ mwa ] « mie de pain».
LH en fin de mot peut être issu soit de LI latin, soit d’un groupe CL: travalh [ tʀa’va ] (ce n’est pas une forme locale, on attendrait trabalh), solĭculu > solelho > (II) solelh > solé [ su'lø ] « soleil », ŏculu > òlho > (II) uèlh > è [ e ] « œil », parĭcŭlu > parelho > (II) parelh > paré [ pa'ʀø ] « paire », artĭcŭlu > artelho > (II) artelh > arté [ aʀ'tø ] « orteil ».
Les pluriel de LH ne connaissent pas la vocalisation, contrairement à L : artelhs « orteils », uèlhs [ e ] « œil », mĕlius est devenu mèlhs [ me ] « mieux » (tandis qu’on a mieus en Forez)
Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021 / [ Télécharger l'ouvrage ]
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Effacement des voyelles posstoniques
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