Cette palatalisation se produit devant I/Ụ et devant les consonnes correspondantes Y et Ẉ. Rappelons que palatalisation veut dire que la langue s’appuie sur le palais pour articuler ces consonnes, dans le cas de T et D, la langue recule jusqu’à la zone du palais, dans le cas de K et G la langue avance jusqu’à la zone du palais.
La palatalisation des consonnes devant les voyelles fermées n’est pas en soi une particularité, c’est une tendance générale et naturelle qui rapproche l’articulation de la consonne et celle de la voyelle. En anglais, la consonne T est par exemple palatalisée devant U : tune, … Les résistances à cette palatalisation sont variables. Chez nous, cette palatalisation est allée loin, elle amène à confondre sous une même prononciation T et K, D et G. C’est une prononciation qui s’étend sur les parlers d’Auvergne et du Velay, mais que l’on a aussi dans la région de Gap.
Palatalisation moderne en parler de Sainte-Sigolène |
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+ A/O/E/ |
+ I/Ụ/ |
T |
T [ t ] |
TH [ tj ] |
D |
D [ d ] |
DH [ dj ] |
K |
K [ k ] |
TH [ tj ] |
G |
G [ g ] |
DH [ dj ] |
partir [ paʀ’tji ], tisana [ tji’zan(ɔ) ], tussir [ tjy’ȝi ], tu [ tjy ] « tu, toi », tiá [ tjjɔ ] « tienne », tuar [ tjɥa ], dire [ ‘djiʀ(ø) ] « dire », aquí [ a’tji ] « là », agulha [ a’djyj(ɔ) ] « aiguille », cuol [ tjiu ] « cul ».
Les consonnes T, D, K, G sont des occlusives, c’est-à-dire qu’il y a obstruction complète du passage de l’air dans la bouche (occlusion), le son étant formé au moment du relâchement (désocclusion). TH [ tj ] n’est pas TY [ tj ], notre patois connaît l’un comme l’autre mais ne les confond pas : TH est une seule consonne tandis que TY représente deux consonnes avec un changement d’articulation entre les deux. Il en est de même pour DH et DY. Cependant, TH est généralement prononcé en laissant l’air s’écouler avant la fin de l’articulation (affrication), on entend alors TZH [ ɕ ] en fin de consonne. Dans ce cas aussi, cela reste une seule consonne, il n’y a pas de changement d’articulation mais juste un relâchement de tension. Cette affrication ne se produit pas dans le cas de DH [ dj ], on n’entend pas DZH [ ʑ ].
Cette réalisation affriquée est plus ou moins nette suivant les mots et suivant le débit de l’élocution, aussi je ne prendrai qu’une seule notation [ tj ]. Indiquons aussi que la prononciation palatale régresse parfois lors d'une prononciation moins énergique, on a alors par exemple aquí [ a’ki ] avec K légèrement palatal (on pourrait s'attendre à avoir [ t∫ ]).
Nous assistons à la reproduction exacte de la palatalisation qu'a connu le latin parlé avant le 4 °siècle, quand des formes comme cima [ 'kima ] « cime » sont devenues [ 'tjima ] puis [ 't∫ima ]. Nous sommes ici encore dans la phase de prononciation énergique qui est à l'origine de cette palatalisation ; l'interruption de la transmission naturelle ainsi que la déconnexion du patois de la vie sociale nous privent d'observer la suite, elles interviennent à un moment où on pressent qu'on avait atteint un point de basculement où d'autres générations allaient ouvrir une phase d'articulation molle, réplique du passage à [ t∫ ].
La palatalisation moderne concerne aussi S et Z qui deviennent chuintants : cima [ ’∫im(ɔ) ], rasim [ ʀa’ȝĩ ] « raisin », civaa [ ∫i'va ] « avoine », vesin [ vø’ȝi ] « voisin », ...
La voyelle posttonique est absorbée par la palatalisation : defèci [ 'difɛ∫(ø) ] « honte », quasi [ ‘kaȝ(ø) ] « presque », ..
On remarquera que CH et J font exceptions. On s'attendrait à avoir CH [ t∫ ] et J [ dȝ ],devant I/Ụ, mais on a toujours CH [ ts ] et J [ dz ] : legir [ lø'dzi ] « lire », gima [ 'dzim(ɔ) ] « crème », gis [ 'dzi ] « aucun », …
Par ailleurs, dans le patois sigolénois, le S n’est absolument pas chuinté en dehors de ce contexte ; nous ne connaissons pas la prononciation typique du coeur du massif occitan. Cependant, rien ne nous indique que cette prononciation n’était pas étendue autrefois jusqu’à notre secteur, elle a très bien pu disparaitre pour se renforcer devant I/Ụ.
La différence d’articulation de S devant I/U est absolument régulière, même dans des mots dont on peut supposer qu’ils sont empruntés depuis peu. Voici quelques exemples :
Palatalisation de S/Z en parler de Sainte-Sigolène |
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S/Z + I/Ụ/Y/Ẉ |
S/Z + A/O/E/YZ/W |
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sus « sur » |
[ ∫y ] |
passar « passer » |
[ pa’sa ] |
suc « suc » |
[ ∫y ] |
sac « sac » |
[ sa ] |
sucre « suc » |
[ ’∫ykʀ(ø) ] |
sason « saison » |
[ sa’zu ] |
eissuar « essuyer » |
[ i’∫ɥa ] / [ i∫y’a ] |
sechar « sécher » |
[ sø’tsa ] |
eissu(t) « sec » |
[ i’∫y ] |
sopa « soupe » |
[ ’sup(ɔ) ] |
benesir « benir » |
[ bønø’ȝi ] |
sòr « soeur » |
[ sɔʀ ] |
Sinjau « Yssingeaux » |
[ ∫ĩn’dzau ] |
sèt « sept » |
[ se ] |
fusilh « fusil » |
[ fy’ȝi ] |
brasa « braise » |
[ ’bʀaz(ɔ) ] |
musica « musique » |
[ my’ȝik(ɔ) ] |
sentir |
[ s'tji ] |
fasiá « il faisait » |
[ fa’ȝjɔ ] |
ceal « ciel » |
[ sja ] |
siaton « petite assiette » |
[ ∫ja’tu ] |
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torçuá « tordue » |
[ tuʀ’∫ɥɔ ] |
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siá « sienne » |
[ ∫jɔ ] |
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la finta cima “extrémité, sommet ” (d’un arbre), cela désigne le sommet absolu, le plus haut point.
Le nom de la commune connaît une double forme, soit Santa-Segolena [ sta søgu’lønɔ ], soit Santa-Sigolèna [ sta ∫igu’lenɔ ].
Palatalisation de N en parler de Sainte-Sigolène |
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N + I/Ụ/Y/Ẉ |
N + A/O/E/YZ/W |
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nial « nichet » |
[ ɲa ] |
anar « aller » |
[ a’na ] |
nimai « non plus » |
[ ɲimai ] |
nas « nez » |
[ na ] |
fenir , finir « finir » |
[ fø'ɲi ], [ fi'ɲi ] |
no « nœud » |
[ nu ] |
venir « venir » |
[ vø'ɲi ] |
nebo(t) « neveu » |
[ nø’bu ] |
menuta, minuta « minute » |
[ mø'ɲyt(ɔ) ], [ mi'ɲyt(ɔ) ] |
neu « neige » |
[ nøu ] , [ niu ] |
nu « nu » |
[ ɲy ] |
anèl « anneau » |
[ a'ne ] |
nuá « nue » |
[ ɲɥɔ ] |
nòça « noce » |
[ nɔ's(ɔ) ] |
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near « noyer » |
[ nja ] |
La palatalisation des consonnes devant I/Ụ concerne également L. Il semble d’ailleurs que ce soit ici la plus anciennement palatalisée. La tradition écrite occitane utilise le signe H pour indiquer que la consonne est palatalisée (ou mouillée). Ainsi, LH indique un L palatal prononcé classiquement [ ʎ ] (catalan lluna) . A Sainte-Sigolène, LH est devenu [ j ] (comme français « maillot » ), mais les parlers du secteur du Lizieux, plus conservateurs, ont gardé L palatal [ ʎ ]: merluça [ ma’ʀjys(ɔ) ] « morue », esliuça (f.) [ ei’jius(ɔ) ] « éclair », lusir [ jy’ȝi ] « luire, briller », luna [ ’jyn(ɔ) ] « lune », bolicar [ buji'ka ] « remuer », espelir [ eipø'ji ] « éclore », litre [ 'jitʀ(ø) ], libre [ 'jibʀ(ø) ] « livre », …,
LHY est devenu LY: liam [ lj ] « lien », luòc « lieu », liar « lier »
Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021 / [ Télécharger l'ouvrage ]
Quelques notions de phonétique articulatoire
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Palatalisation de C et de G devant E et I (première palatalisation)
Sonorisation des consonnes intervocaliques sourdes
Palatalisation de C et de G devant A (segonde palatalisation)
Effacement des voyelles finales E et O
Effacement des voyelles posstoniques
Affaiblissement de B intervocalique
Affaiblissement de D intervocalique
Affaiblissement de DH intervocalique
Affaiblissement de G intervocalique
Effacement de N instable en fin de mot
La diphtongaison de È et de Ò en roman I
La diphtongaison de E et de O en roman II
La diphtongaison de È et de Ò en roman III
Formation de U antérieur, fermeture de O ( Ụ )
Le système vocalique sigolénois
Séparation de A antérieur et de A postérieur
Simplification des triphtongues
Effacement des consonnes finales
Consonantification des voyelles
Les articles et pronoms démonstratifs