Siá coitat ad ausir e tardiu a parlar « Sois empressé d’entendre et long à parler »
La langue romane est la forme qu’a pris le latin parlé dans les territoires qui ont adopté la langue des romains. On appelle Romania continue le territoire qui a connu une transmission ininterrompue de la langue romane, et où nous avons accès à une langue transmise par des générations qui l’ont elles-mêmes reçue dans un état naturel, non formatée par des conventions et des règles édictées. Nous allons ici décrire un parler roman parmi d'autres, nous allons en décrypter ses règles, c’est à dire les caractères ou les changements phonétiques qui y sont réguliers, nous allons ainsi montrer comment s’est formé cette langue et indiquer comment on est passé du latin au patois d’aujourd’hui. Cette transition fonctionne avec une logique impérieuse, parfois simple, parfois moins simple. Nous distinguerons arbitrairement quatre périodes, ce choix obéit uniquement à des considérations d’intelligibilité, et permettra de présenter de façon plus claire les évolutions successives en distinguant des séquences qui considérées en elles-mêmes restent simples à décrire. Ces périodes seront désignées de façon neutre par roman I à roman IV, et je ne fixerai pas de début et fin précis, ce qui permettra de s’affranchir d’une discipline chronologique trop stricte afin de favoriser la clarté du propos.
Nous ferons terminer le roman I avec la fin du 6e siècle, quand le roman a gagné l’ensemble des couches de populations du domaine romanisé, quand l’essentiel des mouvements de populations germaniques sont terminés en Europe de l’Ouest, et quand la population baisse brusquement par suite de crises climatiques ayant entrainé famines et épidémies.
Le latin parlé doit être compris non comme une langue uniforme, mais comme un ensemble de variétés qui avaient en commun de ne pas être écrites, ce latin parlé variait suivant les classes sociales, suivant les régions. Le roman est le latin parlé, il s’inscrit dans la continuité de la langue latine, mais c’est aussi une langue nouvelle qui se substitue à des langues préalablement parlées sur ces territoires. Au cours de la période que nous considérons ici, le roman se construit à la fois par son héritage latin, mais aussi par la façon dont le latin se diffuse dans la société. Rome n’a pas organisé cette diffusion, le latin s’est répandu par des modes variés, suivant l’intensité de la colonisation, suivant la densité des relations commerciales ou du réseau urbain, mais aussi par le vecteur des organisations administratives, des installations militaires, de la christianisation, ...
Sur le plan linguistique qui nous intéresse ici, des grandes lignes de fractures sont déjà apparues, il va en émerger progressivement les ensembles dialectaux qui formeront les langues romanes. Il y a peu de témoignages directs du roman de cet époque, on devine cependant les quelques usages grâce aux ouvrages qui dénonçaient des prononciations incorrectes « Dites ..., ne dites pas ... » (Appendix Probi1), et qui témoignent des évolutions qui étaient en train de s’opérer ou qui étaient déjà acquises. Mais pour l’essentiel, les linguistes romanistes ont reconstitué le paysage linguistique de cette période à partir des formes écrites qui sont plus tardives, et surtout à partir des langues actuelles. Les enquêtes dialectales conduites au 20e siècle ont ainsi mis en évidence les différentes segmentations de l’espace roman, aidant à remonter les séquences d’évolution. Nous citerons pour ce qui nous concerne au plus proche l’ALF (Atlas Linguistique de France, 1897-1901, Jules Gilliéron, Edmond Edmont), l’ALLy (Atlas linguistique et ethnographique du Lyonnais, Mgr P. Gardette), l’ALMC (Atlas linguistique et ethnographique du Massif-Central, 1951-1953, Pierre Nauton).
Extension de la langue romane vers la fin du V° siècle. Le roman disparaîtra par la suite des zones en gris foncé. Les limites d’états actuels sont indiquées pour faciliter la lecture de la carte, elles ne correspondent bien entendu en rien à la réalité politique de l’époque.
Nous positionnerons le roman II entre le 7e et 11e siècle, mais nous lui rattacherons cependant certaines évolutions linguistiques déjà apparues avant, au cours des 5° et 6° siècles.
Le 7ème siècle est marqué par un retour à de meilleures conditions climatiques et un renouveau démographique.
Sur le plan politique, les royaumes européens s’inscrivent dans la continuité des institutions de l’empire, mais la fonction étatique se disloque progressivement pour être exercée par des individus organisés en réseaux d’alliances. On peut illustrer cette évolution politique en mettant en parallèle l’évolution du mot « comte » (lat. comite) : le comte était au début de cette période un fonctionnaire d’état administrant un territoire, il était nommé par le souverain et était révocable. A la fin de cette période, il est devenu un noble dont le statut est transmissible par héritage, et dont le patrimoine personnel bénéficie désormais d’anciennes terres publiques.
Dans la péninsule ibérique, le puissant califat de Cordoue disparaît au milieu du 11e siècle et laisse la place à un ensemble de royaumes musulmans, les taïfas ; au nord les terres chrétiennes s’organisent en différents petits royaumes : León, Navarre, Aragon. Le comté de Barcelone s'émancipe de la tutelle du roi de France.
Le roman a reflué, d’abord en Afrique du Nord, où il a complètement disparu, mais aussi en grande partie dans l’Espagne musulmane. Entre Italie et Roumanie, la progression des peuples slaves a effacé une bonne partie du roman, mais la Roumanie reste une terre romane. Sous la pression du peuplement germanique, d’anciennes terres romanes sont maintenant acquises aux langues germaniques : Alsace, Palatinat, .....
Nous ferons terminer le roman III vers le 13° siècle.
Les langues romanes accèdent désormais à des registres qui étaient encore réservés au latin. Ainsi, l’usage d’écrire en langue romane commence à se développer. Le domaine occitan se montre particulièrement innovant, avec en particulier l’avènement d’une poésie en langue d’oc qui précède et ouvre la voie à toute la littérature occidentale post-latine.
Cette période coïncide avec la consolidation de royaumes et de duchés puissants, lesquels commencent à reconstituer des états. État et Église s'imposeront comme les deux forces qui structurent l'organisation de la société.
Le royaume de France prend possession des terres du comte de Toulouse (croisade albigeoise) et y met en place le cadre administratif qui sera celui du Velay jusqu’en 1791 (1215/1229 : création de la sénéchaussée de Beaucaire, 1271 : création de la province du Languedoc).
Sur le plan linguistique, la fin de cette période correspond au tout début de l'introduction de la langue d'état, tout d'abord au contact des nouvelles structures administratives nouvellement installées dans les villes occitanes maintenant rattachées au royaume.
Avec la diffusion progressive de la langue d'état, le français pénètre lentement et remplace progressivement le roman autochtone, ce remplacement s'opère par couches, en commençant par les usages administratifs, puis juridiques, etc. Le français gagne ainsi de plus en plus de domaines, mais pour ce qui est de l'usage familiale, il ne s’implante réellement qu'au 20e siècle.
Pour ce qui est de l'est du Velay, le paysage linguistique va être fortement marqué par la Réforme. L’isolement de la communauté protestante dans un environnement qui redevient majoritairement catholique se traduit sur le plan linguistique par le refus de certaines évolutions qui gagnent le reste de l’Yssingelais ; en particulier l’effacement des consonnes finales : fuòc = fyòk / fyò, cort = kurt / kur « cour », escòlas = eskòlas / eikòla « écoles », bèç = bèts / bè « bouleau » (j'utilise le terme Yssingelais en l'étendant à tout le domaine de l'est du Velay)
Il se superpose une autre confrontation, celle d’une poussée d’évolutions venant par le nord qui se heurte à une résistance conservatrice au sud et à l’ouest.
La combinaison de ces deux forces donne à l’Yssingelais un profil linguistique très particulier. Sur un espace géographique relativement restreint, l’Yssingelais présente une importante diversité de traits phonétiques, tout en partageant en commun des identités qui lui donne une certaine unité.
Un autre facteur marque la géographie sociale de la région, Saint-Etienne qui était un bourg en marge de la route entre Lyon, Le Puy et Toulouse, devient un centre économique à partir du 16e siècle avec en particulier les premières fabrications d’armes. L’influence de Saint-Etienne va se manifester à une période récente par l’introduction de nombreux mot du patois stéphanois dans le vocabulaire sigolénois, mais il n’est pas toujours facile de faire la part : perèsi, piquerlós, coive, crisio. L’influence stéphanoise affecte plus fortement le français régional, et dans une moindre mesure le patois occitan, ainsi « baraban » n’a pas remplacé lanteiron « pissenlit », « vogue » n’a pas remplacé vòta « fête votive », « fayard » n’a pas remplacé fau « hêtre ».
Nous allons à partir de maintenant centrer notre propos sur le parler sigolénois actuel. Le parcours que nous allons emprunter passera d'abord par les évolutions les plus anciennes, ce qui nous permettra de positionner notre patois dans les grands ensembles romans, et nous irons progressivement vers les caractères qui s'y sont développés plus récemment. Au terme de ce parcours, nous aurons une soixantaine d'articles.
1« L'Appendix Probi est une source majeure pour la connaissance du latin tardif (postérieur au ier siècle), c'est-à-dire postclassique. Il s'agit en effet d'une liste de mots du latin classique, accompagnés de leur équivalent en bas latin. Rédigée aux alentours du viie siècle, elle se lit à la fin d'un manuscrit palimpseste du viie siècle ou du viiie siècle contenant un exemplaire des Instituta artium attribués au grammairien Valérius Probus, mais c'est peut-être l'œuvre d'un professeur ou d'une école du iiie siècle copiée et remaniée à plusieurs reprises. » Wikipedia.
Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021 / [ Télécharger l'ouvrage ]
Quelques notions de phonétique articulatoire
Le système vocalique du roman occidental
Palatalisation de C et de G devant E et I (première palatalisation)
Sonorisation des consonnes intervocaliques sourdes
Palatalisation de C et de G devant A (segonde palatalisation)
Effacement des voyelles finales E et O
Effacement des voyelles posstoniques
Affaiblissement de B intervocalique
Affaiblissement de D intervocalique
Affaiblissement de DH intervocalique
Affaiblissement de G intervocalique
Effacement de N instable en fin de mot
La diphtongaison de È et de Ò en roman I
La diphtongaison de E et de O en roman II
La diphtongaison de È et de Ò en roman III
Formation de U antérieur, fermeture de O ( Ụ )
Le système vocalique sigolénois
Séparation de A antérieur et de A postérieur
Simplification des triphtongues
Effacement des consonnes finales
Consonantification des voyelles
Les articles et pronoms démonstratifs