Lorsqu’un adjectif est placé devant le nom (on dit
qu’il est proclitique), cet adjectif s’associe
phonétiquement avec le nom. Voici un exemple dans notre
patois :
Fai bòn temps [
fi:bũ’t ], que l'on peut opposer à
aquò
es bòn [
kwi bɔ ].
Observons que dans la prononciation proclitique de bòn
:
1. N est
prononcé. En effet, il n'est pas final, car l’adjectif
est ici uni avec le nom.
2.
O est prononcé [
u ]. En effet, l’adjectif perd sa tonique en
s’associant avec le nom, il partage alors la tonique portée
par le nom. Or, nous avons vu précédemment que la
contrepartie atone de Ò [
ɔ ] est O [
u ].
Le patois sigolénois a régulièrement une
prononciation proclitique pour tous les adjectifs placés
devant le nom. Nous pourrions multiplier les exemples :
la
paura femna [
lapuʀa’fn(ɔ) ]
« la pauvre femme », opposé à es
paura [
ei’pauʀ(ɔ)
]
« elle est pauvre ».
sèt
cents [
sø'ts ] « sept cents »,
sèt
ans [
sø:'t
] « sept ans » opposés à son
sèt [
sũ se ] « ils sont sept ».
vès
las
uèit oras [
ve la: jiit'uʀa
] opposé
à son
uèit [
sũ jɛi
]
« ils sont huit »
darrèir tu
[
daʀi'tjy ] « derrière toi ».
Nour pouvons voir par ces exemples qu'en configuration proclitique, A final reste A, c'est à dire qu'il n'est plus final ; les diphtongues ont l'articulation atone.
Nous allons pousser notre observation plus loin en prenant un
autre exemple
una vèlha [
’vej(ɔ) ]
« une vieille », una vèlha femna [
vøja’fn(ɔ) ],
una vèlha chançon [
vøjatsã’su ] ,
Indiquons d’abord que velhessa « vieillesse » est prononcée [ vi’jøs(ɔ) ], avec [ i ] régulier pour E au contact de Y. On voit ici que E de la forme proclitique est prononcée [ ø ] tandis que E atone d’un mot tonique est prononcé [ i ]. L'alternance [ e ] / [ ø ] l'emporte sur [ e ] / [ i ], ce qui signifie que la forme vèlha femna n'est pas autonome, elle reste un groupe composé de deux mots dotés d'une certaine autonomie, même si le premier est subordonné à l'autre.
Par ailleurs, il nous faut également indiquer que l’adjectif placé devant le nom peut aussi être prononcé tonique. C’est une question d’expressivité ; par exemple, on dit una vèlha filha [ ’vej(ɔ) ’fij(ɔ) ] , et on comprend bien qu’ une « vieille fille » n’est pas une « fille vieille », et que dans ce contexte vèlha tend à jouer un rôle de substantif, à la différence de una vèlha femna [ vøja’fn(ɔ) ] « une vieille femme » ou « une femme agée ») (remarquez qu’ici vèlha se différencie sur l’articulation de È mais aussi sur celle de A). Voyons d’autres exemples où la règle d’expressivité s’impose : te fau un gròs poton [ gʀɛu pu’tu ] « je te fais un gros bisou », mais ai vegut un gròs rat [ gʀu:ʀa ] « j’ai vu un gros rat » .
Les adjectifs possessifs sont également
proclitiques :
vòstre enfant [
vutʀøfã ] « votre
enfant », opposé au pronom possessif : lo
vòstre [
lø vɛutʀ(ø)]
« le vôtre »
Les pronoms utilisés comme sujet sont proclitiques, tandis qu'ils sont toniques quand utilisés comme complément : ieu sió tot sol [ ju∫utu’su ] « je suis tout seul », coma ieu [ kuma’jiu ] « comme moi », vès ieu [ ve jiu ] « chez moi ».
Les articles et pronoms démonstratifs sont également proclitiques quand placés devant le substantif ; ils ne le sont pas dans les autres cas : d'aquau temps [ daku't ] « en ce temps là », per aquau [ a'kau ] ( l'utilisation d'aquau est rare pour ce second exemple, nous verrons que aquel alterne avec aquau, et que ce contexte suppose régulièrement aquel), una jauta [ yna'dzaut(ɔ) ] « une joue ».
Les verbes conjuguées peuvent également être
proclitiques :
parla-me [
paʀla'mø ] « parle-moi ! »,
opposé à parla ! [
'paʀl(ɔ) ]
« parle ! »
sònha-te [
suɲa’tø ] « soigne-toi »,
opposé à sònha ! [
'sɔɲ(ɔ) ] « regarde !
»
prèsta-me lo [
pʀita’mø lø ] « prête-le
moi »
vau faire [
vu 'faiʀ(ø)
]
« je vais faire », opposé à lès
vau [
le vau ] « j'y vais »
que
venes faire ? [
kø vøni'faiʀ(ø)
]
« que viens-tu faire ? », mais vènes
[
'veni ] « tu viens »
aquò
deu faire [
kɔ du 'faiʀ(ø)
]
« cela doit faire », opposé à te
deu d'argent [
tø'døu daʀ'dz
] « je te dois de l'argent »
t'aidarai
mai a los chausir [
tidaʀi mi a lu:tsu'ȝi ] « je
t'aiderai également à les choisir »
vai
chausir [vi
tsu'ȝi ] « il va choisir »
es
mau viraa [
i mu vi'ʀa ] « elle est mal
tournée »
se vai jaire [
sø vi dzaiʀ(ø)
]
« il va se coucher », opposé à
se-n vai [
s vai
]
« il s'en va »
la pòt veire
[
la pu vɛiʀ(ø)
]
« il peut la voir » opposé à pòt
[
pwɔ] « il peut »
Mais ici aussi, l'expressivité peut commander la forme tonique : te vòle dire una veaa [ tø'vɔl(ø) djiʀ(ø) yna'vja ] « je veux te dire une chose »
Les prépositions sont proclitiques : per « pour », « par », aube/au « avec », au ieu [ u:'jiu ] « avec moi », çò « ceci » ( çò diguèt [ sudji'ge ] « il dit ceci .. »), … vès « chez » « à » constitue un cas à part en étant toujours prononcé [ ve ] / [ vez ].
Les adverbes et conjonction peuvent également s'unir phonétiquement au groupe de mots auxquels ils participent : tuèit, mai, coma, … L'exemple de mal « mal » illustre bien cette différenciation, le patois sigolénois à toujours mal [ ma ] pour le substantif, et a toujours mau pour l'adverbe, lequel est alors prononcé [ mau ] quand il est après le verbe et [ mu ] quand il est avant.
Deux adverbes sont atypiques, cès et lès, ils sont prononcés [ se ] / [ sez ] et [ le ] / [ lez ], ce qui ne correspond à aucune articulation atone, mais il faut peut-être y voir une prononciation empruntée au Forez, elle aurait remplacé les formes locales çais et lais .
Les consonnes finales étant régulièrement effacées en parler sigolénois, on ne trouve des cas de liaisons que dans les conditions proclitiques.
Exemples d'absence de liaisons :
es au lèit [
i u’lɛi
]
« il est au lit », m’es
eivís [
mi i’vi
] « il m'est avis » « je
pense (que) », ères
aquí [
’ɛʀi a’tji
] « tu étais ici », sètz
aquí ? [
’se a’tji
] « êtes-vous là ? »
Exemples
de liaisons : aqueles òmes [
akøliz'ɔmi ] « ces hommes »,
vès Aurèc [
vezu'ʀe ] « à Aurec »,
lès anirai « j'y irai », cès
a de monde « il y a du monde »
Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021 / [ Télécharger l'ouvrage ]
Quelques notions de phonétique articulatoire
Le système vocalique du roman occidental
Palatalisation de C et de G devant E et I (première palatalisation)
Sonorisation des consonnes intervocaliques sourdes
Palatalisation de C et de G devant A (segonde palatalisation)
Effacement des voyelles finales E et O
Effacement des voyelles posstoniques
Affaiblissement de B intervocalique
Affaiblissement de D intervocalique
Affaiblissement de DH intervocalique
Affaiblissement de G intervocalique
Effacement de N instable en fin de mot
La diphtongaison de È et de Ò en roman I
La diphtongaison de E et de O en roman II
La diphtongaison de È et de Ò en roman III
Formation de U antérieur, fermeture de O ( Ụ )
Le système vocalique sigolénois
Séparation de A antérieur et de A postérieur
Simplification des triphtongues
* La prononciation proclitique
Effacement des consonnes finales
Consonantification des voyelles
Les articles et pronoms démonstratifs