Les mots savants sont des formes qui n’ont pas suivi les évolutions populaires. Ils sont dits savants car ils sont généralement introduits par les lettrés à partir du vocabulaire du latin littéraire, ces mots sont alors accueillis dans le roman suivant des schémas phonétiques qui peuvent changer dans le temps et qui diffèrent parfois dans l'espace roman.
Pour les mots issus d’une forme latine avec suffixe ARIU, on doit distinguer d’une part les formes populaires qui ont abouti chez nous à ÈIR [ ɛi ] suivant un processus que nous verrons plus tard, et d’autre part les formes savantes qui ont abouti à ARI [ 'aʀi ], ce qui correspond en français à « ier » et à « aire » : februariu > feurèir, solariu > solèir « Le Soulier, lieu-dit », notariu > notari « notaire », voluntariu > volontari, armariu > armari « armoire »,…
Cette distinction entre formes populaires et formes savantes se retrouve dans les différentes langues romanes ; le castillan a ainsi ERO et ÁRIO: febrero « février », notario « notaire », le catalan ER et ARI : febrer, notari, ….Le français ancien avait également ARI mais qui est devenu depuis longtemps AIRE, cependant le dialecte normand qui avait gardé tardivement ARI l’a transmis à l’anglais : « notary », « contrary ». L'arpitan a ici ÁRIO pour forme savante mais ces formes sont devenues rares : bário « mur pour dévier une avalanche » (Tignes - Savoie), notário « notaire », ...
Le féminin de ÈIR est dans un cas ÈIRA [ 'ɛiʀ(ɔ) ], celui de ARI est ÀRIA [ 'aʀjɔ ] : fenèira « fenil », ribandèira « fabrique de ruban », ordinària « ordinaire », ...
Sur le même modèle, le suffixe ŎRIU/ŎRIA connaît une forme populaire UÈIR/UÈIRA (cŏriu > cuèir [ kɛi ] « cuir », bŏvaria > boèira « paire de bœufs ou de vaches »). La forme savante ÒRI/ÒRIA est peu représentée dans notre patois où les mots concernés sont généralement remplacés par le français, il est cependant possible que le mot général de la langue d'oc que nous utilisons également à Sainte-Sigolène pour « ferme, exploitation agricole, métairie », bòria, soit une forme savante de bŏvaria (etymologie-occitane.fr).
Le suffixe ĔRIU/ ĔRIA a pour forme populaire ÈIR/ÈIRA : fĕria > fèira « foire », mĭnĭstĕrĭu > mestèir « métier », mais la forme savante ÈRI/ÈRIA ne semble plus avoir qu'un seul représentant dans notre patois qui est cementèri « cimentière.
Il répond au français « erie » : librariá « librairie », flatariá « flatterie », batariá « batterie », galariá « amusement, fête », lotariá « loterie », mocariá « moquerie », … sans distinction entre ARIÁ et un éventuel ERIÁ.
Les schémas phonétiques d’adaptation de la forme latine sont parfois complexes. Le suffixe latin ĭcu et son féminin ĭca, ainsi que son doublet ĭu et ĭa, semble avoir servi pendant longtemps pour former des nouveaux mots. Il semble aussi que, suivant les époques, on a eu recours à différents schémas phonétiques pour accueillir les nouvelles formes. Un de ces schémas a été étendu à atĭcu / atĭca qui a lui-même servi à créer un nombre considérable de mots communs au domaine français/occitan/arpitan/catalan, coratge « courage », vilatge « village », ... Ce même modèle a pu servir pour des formes approchantes : fĭcatu « nourri avec des figues » a été repris comme si il était fitĭcu et a donné fetge « foie » [ 'fødz(ø) ], là où le français « foie » est l'évolution phonétique régulière de fĭcatu. Nous ne distinguons pas dans la prononciation ATGE et AGE [ adz(ø) ].
Citons quelques autres mots du lexique sigolénois qui sont issus de formes savantes : profèta [ pʀu'fetɔ ] « prophète », remèdi [ ʀømedj ] « remède », crèdit [ kʀɛdj ] « crédit », vòta « fête votive », odor « odeur » (connu aussi ailleurs sous oudor, audor), quasi [ kaȝ ] « presque), defèci [ di’fɛȝ ] « honte » (assimilé à desfèci), gòbi (dans expression aver gòbi aus dets « avoir les doigts engourdis par le froid », signar [ ∫ĩ’na ] « signer », règla « règle » (du français), agir « agir », legir [ lø'dzi ] « lire ».
Le patois sigolénois connaît également nòvi « pour jeune marié » mais il est prononcé soit [ 'nɔvi ], soit [ nɛuj ] qui semble combiner nòu [ nɛu ] « neuf, nouveau » et nòvi.
Nous rangerons aussi les prénoms dans la classe des mots savants : maurisi [ mu’ʀiȝ ], règis [ ʀɛȝ ], fèliç [ 'feli ], blasi [ blaȝ ], tònia [ 'tɔɲɔ ] (forme féminine d'Antoine). Mais, en dehors de quelques cas, les prénoms sont généralement adoptés sous la forme française.
Une des différences avec le français est que la langue d'oc moderne conserve l'accentuation originelle des mots savants : crèdit, Fèliç, même lorsque ces mots ne se conforment pas totalement aux schémas phonétiques locaux et suivent une prononciation trans-dialectale, comme le font les prénoms (pour Fèliç, on a [ 'feli ] alors qu'on attendrait [ 'feji ]). Cette conservation est cependant limitée au paroxytons, l'accentuation proparoxytonique étant inconnue : America [ ame'ʀikɔ ], musica [ my'ȝikɔ ].
Le français est bien entendu la principale source de mots savants depuis qu'il est langue dominante.
Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021 / [ Télécharger l'ouvrage ]
Quelques notions de phonétique articulatoire
Le système vocalique du roman occidental
Palatalisation de C et de G devant E et I (première palatalisation)
Sonorisation des consonnes intervocaliques sourdes
Palatalisation de C et de G devant A (segonde palatalisation)
Effacement des voyelles finales E et O
Effacement des voyelles posstoniques
Affaiblissement de B intervocalique
Affaiblissement de D intervocalique
Affaiblissement de DH intervocalique
Affaiblissement de G intervocalique
Effacement de N instable en fin de mot
La diphtongaison de È et de Ò en roman I
La diphtongaison de E et de O en roman II
La diphtongaison de È et de Ò en roman III
Formation de U antérieur, fermeture de O ( Ụ )
* Introduction des mots savants
Le système vocalique sigolénois
Séparation de A antérieur et de A postérieur
Simplification des triphtongues
Effacement des consonnes finales
Consonantification des voyelles
Les articles et pronoms démonstratifs