Nous avons vu que C et G devant E/I étaient devenus TS et DZH, cette évolution ayant commencé en latin populaire. Une partie du domaine roman connaît un peu plus tardivement une seconde vague de palatalisation de C et de G.
Cette seconde palatalisation romane est une sorte de répétition de la première, mais elle ne concerne qu’une aire beaucoup plus limitée. D’autre part, si la première palatalisation avait affecté uniquement CE/GE et CI/GI, celle-ci s’étend également à CA/GA. Ses effets sont surtout constatés sur l’abondant vocabulaire en CA/GA dans la mesure où la palatalisation précédente avait fait disparaitre le vocabulaire en KE et KI. Cependant, à l’époque où démarre cette vague, de nouveaux mots ont été introduits depuis les langues germaniques, comme skilla « clochette, sonnette », skina « dos », ces mots qui n’ont pas connu la première vague sont affectés par la seconde.
Sur le plan géographique, la seconde palatalisation s’étend sur tous les parlers français, mais ne se poursuit pas sur une partie du normand et du picard. Elle concerne également tout le domaine arpitan, ainsi que le nord du domaine occitan dans lequel se positionne l’intégralité du département de la Haute-Loire.
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Seconde palatalisation, CA/GA/CI/GI/CE/GE (parler sigolénois) |
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R I |
R II |
R III |
R IV |
forme écrite |
vacca « vache » |
vatha |
vatsha |
vatshạ |
vatsạ |
vacha |
caminu « chemin » |
thamino |
tshamí |
tshamí |
tsamí |
chamin |
gaudire « jouir » |
dzhaudzire |
dzhaudzir |
dzhauvir |
dzauví |
jauvir |
skinna « dos » |
esthina |
estshina |
estshinạ |
eitsinạ |
eschina |
spica « épi » |
espiga > espidha > espidzha |
espidzha |
espiạ |
éspyạ > èipyạ |
éspia |
L’exemple de vacca est couramment cité pour illustrer cette palatalisation. La forme d’origine était vacca [ 'wakka ]. Les consonnes doublées se sont généralement simplifiées en roman, et on a prononcé [ k ] au lieu de [ kk ]. Les parlers sud-occitan on vaca [ ’vakɔ ] ou même [ ’bakɔ ]. La forme vacha est celle des parlers nord-occitans, CH se prononçant [ ts ] ou [ t∫ ]. A Sainte-Sigolène comme en général en Velay, CH est toujours [ ts ]. L’ancien français prononçait [ t∫ ] qui est devenu [ ∫ ] (sauf en Lorrain et Wallon) ce qui est également le cas des parlers du Forez qui semblent avoir subis une poussée de la prononciation française, cette poussée s’arrêtant exactement à la frontière des parlers occitans. Les parlers francoprovençaux ont vachi (issu de vàchie) qui apparaît dès les premiers parlers arpitans, dès l’est de la commune de Saint-Romain-Lachalm selon R. Dürr.
Le vocabulaire sigolénois qui représente cette palatalisation est bien entendu massif et on ne peut citer que quelques exemples: chamin [ tsa’mi ] « chemin », chausir [ tsu’ȝi ] « choisir », achabar [ atsa’ba ] « achever, terminer », champ [ ts ] « champ », eschina [ ei’tsinɔ ] « dos, échine », chalor [ tsa’luʀ ] « chaleur », chamba [ ‘tsbɔ ] « jambe », chambra [ ‘tsbʀɔ ] « chambre », chancèl [ ts’se ] « cercueil », chauchar [ tsu’tsa ] « fouler, piétiner », jauvir [ dzu’vi ] « jouir », lònja [ ‘ldzɔ ] « longue », chanton [ ts’tu ] « angle de batîment » , peu de mots font exception: escampar [ eik’pa ] « enjamber » « écarter les jambes », descabalar [ deikaba’la ] « abandonner une exploitation agricole, son matériel et son cheptel » (étymologiquement « se séparer de son capital »), bocar [ bu’ka ] « embrasser », licar [ ji’ka ] « lêcher », acampar [ ak’pa ] « rassembler » (opposé à eschampar [ eits’pa ] « disperser »), ajocar/ajucar [ adzu’ka ]/[ adzy’ka ] « jucher », bolicar [ buji’ka ] « remuer », deslugar [ deijy’ga ] « démettre un membre ». Il faut comprendre ici que ces mots ne sont certainement pas autochtones.
Des mots du patois sigolénois comme quatre, quant « combien », aiga « eau » (lat. aqua, acqua), eissagar « essanger la lessive» (lat. ex+aquare) ( forézien essavar), lèga « lieue » ( leuca > lecua), èga « jument » (lat. equa), caire « coin » (lat. quadru) n’ont pas été affectés par la palatalisation car ils ont gardé assez longtemps la prononciation [ kw ] ou [ gw ]. Pour ce qui est de aquí « là » ou quitar « quitter », ils étaient également encore en [ kw ] au moment de la seconde palatalisation mais nous verrons qu’ils ont plus tard été affectés par une autre vague de palatalisation.
Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021 / [ Télécharger l'ouvrage ]
Quelques notions de phonétique articulatoire
Le système vocalique du roman occidental
Palatalisation de C et de G devant E et I (première palatalisation)
Sonorisation des consonnes intervocaliques sourdes
* Palatalisation de C et de G devant A (segonde palatalisation)
Effacement des voyelles finales E et O
Effacement des voyelles posstoniques
Affaiblissement de B intervocalique
Affaiblissement de D intervocalique
Affaiblissement de DH intervocalique
Affaiblissement de G intervocalique
Effacement de N instable en fin de mot
La diphtongaison de È et de Ò en roman I
La diphtongaison de E et de O en roman II
La diphtongaison de È et de Ò en roman III
Formation de U antérieur, fermeture de O ( Ụ )
Le système vocalique sigolénois
Séparation de A antérieur et de A postérieur
Simplification des triphtongues
Effacement des consonnes finales
Consonantification des voyelles
Les articles et pronoms démonstratifs