Effacement de S au cours du roman IV

Dans cet article, nous allons analyser dans quelles conditions la consonne S s'est effacée dans le parler sigolénois. Cet effacement concerne S en fin de mot comme pour vachas « vaches », pes « poids », mes « mois », mais aussi de S en fin de syllabe comme pour baston « bâton », tastar « goûter », esclòp « sabot ». Il convient de rattacher également le cas d'un élément proclitique quand il est devant une consonne comme dos còps « deux fois », las doas mans « les deux mains ».

L'ensemble des parlers de l'Yssingelais ont connu cet affaiblissement, mais il nous faut distinguer deux zones, une zone nord où l'affaiblissement initial s'est produit quel que soit la consonne qui suit, et une zone sud où cet affaiblissement s'est produit uniquement devant les consonnes sonores (B, D, G, M, N, ...). Dans ce deuxième cas, S étant devenu Z au contact de la consonne sonore, il faudrait parler d'affaiblissement de Z. La vague d'affaiblissement de Z est probablement plus ancienne que celle de S ; ainsi, dès le roman III l'occitan avait déjà leida ou lesda (ancien droit féodal, impôt sur les marchandises vendu en marché), dèima ou dèsma « dîme » (de decima), deidèir ou desdèir « didier » (de desideriu), èsme et èime « bon sens, esprit, intelligence », carèsma et carèima « carême », Engolèsme et Engolèime « Angoulême », Blèsla ou Blèila (Blesle, commune d'Auvergne).



Carte de la limite d'effacement de S devant une consonne sourde, dans l'Yssingelais

Le premier stade de l'affaiblissement de S produit un son aspiré, c’est à dire expiré. On a encore le stade de l’aspiration dans le parler d’Albon en Ardèche (« Le parler occitan ardéchois d'Albon », N. Quint, 1999), c'est aussi le stade actuel dans une partie de la péninsule ibérique.

Au stade suivant, le son aspiré laisse la place à un allongement de la voyelle qui précède. Aujourd'hui, à Sainte-Sigolène comme ailleurs dans l’Yssingelais, l’allongement tend à disparaître et il ne s'entend que de façon occasionnelle, on prononce cependant baston plutôt [ ba:’tu ] que [ ba’tu ], dos còps « deux fois » est plutôt [ du:kɔ ] que [ dukɔ ]. Comme nous venons de le signaler, au sud, l'affaiblissement ne s'est produit que devant une consonne sonore, on y a donc dos bastons [ du:bås’tus ] « deux bâtons », las vachas [ la:'våtsås] « les vaches ».

Nous allons maintenant voir les conséquences de cet allongement, ceux-ci sont différents suivant la voyelle concernée.

Cas de AS

AS posttonique

Dans le cas de AS posttonique final, la prononciation est [ a ], au lieu de [ ɔ ] / [ å ]: femna [ ’fn(ɔ) ] / femnas [ ’fna ], Chalendas [ tsa’lda ] « Noël », … l'articulation est plus soutenue que pour A seul.

AS tonique

nas [ na: ] « nez », mas [ ma: ] « mais », pasta [ 'pa:t(ɔ) ] « pâte », tastar [ ta:'ta ] « goûter », …

Pour AS tonique des pluriel, la forme que l'on attend est [ a: ], cependant, les pluriels sont généralement alignés sur le singulier, ma(n) [ mɔ ] / ma(n)s [ mɔ ], avec une exception déjà signalée : pra(t) [ pʀɔ ] / pra(t)s [ pʀa ].

Cas de ES

L'allongement de E provoque ici la diphtongaison de E en EI, qui suit alors la prononciation de tout autre EI.

ES en position tonique

ES tonique est ÈI : mes > mèi « mois », pes > pèi « poids », ...

ES en position posttonique

ES posttonique est I, mais sans palatalisation de la consonne précédente : vòles [ 'vɔli ] « tu veux », òmes [ 'ɔmi ] « hommes », los autres [ luz’autʀi ] « les autres ».

ES en position protonique

ES est prononcé [ ei ], [ ii ] ou [ i ]: mesclar [ mei'kla ] / [ mi'kla ] « mélanger, mêler », esclòp [ ei'klɔ ] / [ ii ] « sabot », …

Le préfixe ES étant particulièrement présent, il fournit le bataillon le plus important de formes avec S en fin de syllabe : esmenda « amende », esbolhar « éventrer », esgramelar « retirer le chiendent », esliuç « éclair », espelir « éclore », espiuna « épingle », estrable « étable » , estreit « étroit », esversar « renverser », eschalèir « escalier », escupir « cracher », éspia « épi », … Un mot est prononcé ES, il s'agit d'escofina « scie égoïne » mais il s'agit d'un mot qui s'est diffusée sous cette forme sur une aire étendue.

ES en position proclitique

Devant une voyelle, ES marqueur de pluriel est prononcé [ iz ] : los paures enfants [ lu:puʀizø’fã ] « les pauvres enfants », aqueles òmes [ akøli’zɔmi ]

On s'attendrait ici à avoir EZ et pas IZ. C'est probablement une simplification du schéma du pluriel qui a unifié en EIZ la forme EI devant une consonne et la forme EZ devant une voyelle.

Pour sortir du schéma du pluriel, voyons le cas de tres « trois », sa prononciation à Sainte-Sigolène est la suivante :

(1) quand il est adjectif devant un mot commençant par une voyelle, il peut-être [ tʀɛz ]
i a quasi tres ans [ jɔ ’kaȝ tʀɛzã ] « il y a presque trois ans »
quand las tres oras sonèran [ kã la:trɛz’uʀa sun’ɛʀã ] « quand trois heures sonnèrent »
Comme l’adjectif est phonétiquement lié au nom, S n’est pas final mais intervocalique, il ne s'est pas affaibli.

(2) quand il est adjectif devant un nom commençant pas une consonne : [ tʀi ]
taconèt tres còps [ taku’ne tʀi’kɔ ] « il frappa trois fois »
tres donne trei qui se comporte comme élément proclitique.

(3) dans les autres cas : [ tʀɛi ]
si ne’n aviá agut tres [ ∫i nna’jɔ a’djy tʀɛi ] « si il en avait eu trois »
tres o quatre [ tʀɛi u’katʀ ]
La forme [ tʀɛi ] correspond à la prononciation de tres tonique.

On indiquera que uèit « huit » est dans le même contexte [ jii ], on a ainsi uèit oras [ jii'tura ] « huit heures » et pas òit oras [ wi'tura ], c'est donc UÈIT, forme diphtonguée de ÒIT, qui est utilisée dans le contexte proclitique, ce qui nous permet de confirmer que trei n'est pas issu d'une diphtongaison aussi ancienne que celle de ÒIT en UÈIT. Nous avons deux processus qui n'appartiennent pas à la même époque, uèit est suffisamment ancien pour que la forme proclitique initiale ait été abandonnée suite à un renouvellement du schéma proclitique autour de la nouvelle forme tonique, trei est suffisamment récent pour que coexistent deux schémas différents, un pour la forme tonique (TREI), un autre pour la forme proclitique (TREZ/TRI)

Cas de ÈS

ÈS en position tonique

Le résultat n'est pas homogène, on a soit ÈI, soit È (l'allongement tend à disparaître) : bèstia [ ’bɛ:tjjɔ ] [ ’bɛ itjjɔ ] « bête », chabèstre [ tsabɛitʀ(ø) ] « licol », fenèstra [ fø’nɛ:tʀ(ɔ) ] [ fø’nɛitʀ(ɔ) ] « fenêtre »

On peut se demander pourquoi le traitement de ÈS n'est pas uniforme. Une possibilité est que l'hésitation sur le degré d'ouverture de È a amené la génération de doubles formes (la diphtongaison se fait plus facilement si È est relativement fermé que s’il est ouvert).

ÈS en position proclique

È est toujours diphtongué dans un adjectif proclitique : prèsta-me lo [ pʀita’mø lø ], comme pour tout E fermé contrepartie de È tonique. On rapprochera cela de ce que nous venons de voir pour tres, à savoir que la disparition de S semble être une évolution plutôt récente dans la mesure où la prononciation proclitique s'inscrit dans le schéma ÈS/ES, et ne s'est pas reconstituée sur un nouveau schéma È/E.

Cas de ÒS

L'allongement de Ò a donné ÒU, qui lui-même est passé à ÈU. Cette évolution est analogue à ES > EI, mais l'extension géographique est différente, et cela ne concerne que les parlers les plus au nord-est de la Haute-Loire.

òs [ ɛu ] « os », còsta [ kɛut(ɔ) ] « côte », cròs [ kʀɛu ] « creux, silo, fossé, trou », vòstre [ vɛutʀ(ø) ] « vôtre », gròs [ gʀɛu ] « gros », …

Vocalisation ancienne de S devant une consonne sonore

Pour compléter l'analyse ci-dessus, nous devons citer le cas de la vocalisation de S au contact d'une consonne sonore. Certains parlers occitans actuels prolongent cette tendance, c'est le cas en sud du Velay où tout S en liaison avec une consonne sonore est I/Y: las doas ma(n)s [ lɔjdwɔj'mɔs ] « les deux mains » à opposer à las tres parts [ lɔstʀɛs'paʀ ] « les trois parts ».

Cette évolution s'explique assez simplement : S au contact d'une consonne sonore devient lui-même sonore, il devient donc Z (ex. cast. isla). Mais là où S est prononcé chuinté, S chuinté devient Z chuinté, c'est à dire ZH, ou J dans français « jamais ». Quand l'articulation de ZH se relâche au contact d'une autre consonne, elle devient Y. L'anglo-normand avait ainsi isle > izle > iyle > ilhe, le portugais a isla > izla > iyla > ilha. La prononciation chuintée de S est restée dans une grande partie du massif occitan, comme en portugais.


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Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021     /     [ Télécharger l'ouvrage ]


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