E peut être prononcé I

A Sainte-Sigolène, E peut être prononcée I. Ceci n'est pas inhabituel dans les parlers occitans, ainsi dans une bonne partie de l'Auvergne ( Brioude, Cantal), E est toujours prononcé I : negra [ 'nigʀa ] « noire », fe(n) [ fi ], … Mais pour l'est de Haute-Loire, le contexte est différent, nous allons essayer dans cet article d'éclaircir les conditions dans lesquelles cela se produit pour notre patois.

C'est le cas lorsque E est précédé ou suivi de Y : ieu [ jiu ] « je », « moi », i-ele [ 'jilø ] ou i-elo [ 'jilu ] « il », cleiá [ kli'jɔ ] « claie », neiar [ ni'ja] « noyer » (variante phonétique de near).

A ces exemples on ajoutera aussi LH intervocalique devenu Y : botelha [ bu’tij(ɔ) ], Marselha [ maʀ’sij(ɔ) ] « Marseille », manelha [ ma'nij(ɔ) ] « anse », esvelhar [ eivi’ja ] « réveiller », aurelha [ u’ʀij(ɔ) ] « oreille », selha [ ’sij(ɔ) ] « seille », valhent [ vajĩ ] « vaillant ». Avec l'exemple de selha, on remarque que S n'est pas chuinté, on ne dit jamais [ ’∫ij(ɔ) ], ce qui est contraire à ce que nous avons indiqué dans l'article précédent. On peut étendre ce constat aux autres consonnes qui devraient avoir une articulation palatale dans ce contexte : botelha, manelha, neiar, … Or nous avons vu que cette palatalisation est très contemporaine, cela veut dire que l'articulation dont nous parlons ne s'est totalement confondue avec [ i ] que très récemment. LH en fin de mot est effacé, E reste prononcé [ ø ] : parelh [ pa'ʀø ] « paire », montelh [ mũ'tø ] « monticule », artelh [ aʀ'tø ] « orteil » .

È reste toujours È dans ce contexte.

ENH

Il semble que E soit aussi articulé I devant NH ancien. En fait, cela se produit comme si on avait autrefois une voyelle Ẹ intermédiaire entre I et E, cette voyelle étant apparue devant la consonne palatale NH. Elle était peut-être aussi apparue devant LH, mais l'évolution plus récente de E au contact de Y a recouvert toute éventuelle autre articulation antérieure.

Je pense qu'il est nécessaire de remonter à des formes anciennes pour comprendre la prononciation actuelle. La forme classique de la langue d’oc pour « moins » est mens, issu de mĭnus. Les parlers autour du Lizieux prononcent [ ms ] ou [ mĩs ]. Les textes anciens en langue d'oc donnent souvent « meins » ce qui doit être lu comme menhs (IN pouvant noter NH, comme ILL pouvait noter LH). D’ailleurs, le catalan a toujours menhs écrit « menys », le gascon a mensh avec S chuintant qui ne se produit qu’après une palatale.

A Sainte-Sigolène et dans les environs immédiats, mens/mins est [ mi ] ; l'absence de nasalisation de I indique un processus différent ; une explication possible est la simplification de NS en S à une date ancienne, comme pour conselh > cosselh [ ku'sø ] « conseil », mais sans certitude, on écartera la forme sigolénoise des attestations de E devant N anciennement palatal. Les formes du Lizieux précédemment citées constituent cependant un élément fiable.

Un mot comme cenhta « enceinte » apporte un autre témoignage. Ce mot n’est plus vivant dans le patois de Sainte-Sigolène, mais on peut supposer qu’il n’a disparu que récemment. On en a une attestation dans le nom toponymique Pont de la cenhta sur la commune de Grazac et que l’on prononce [ pũ døla’sĩt(ɔ) ]. Ce lieu est nommé ainsi en raison de sa configuration entourée (ceinte) par des falaises. Le pont moderne est appelé « Pont de l’enceinte », le pont ancien étant transcrit « Pont de la sainte ». Ici aussi, S n'est pas chuinté, à la différence de cinc [ ’∫ĩ ] ; ceci signifie que l'articulation I est très récente, d'où le scénario où I serait ici l'aboutissement d'une articulation antérieure Ẹ. L'évolution a d'abord été ücĭncta > tshenhta > senhta. Pour la suite, l’hypothèse que nous pouvons formuler est que la voyelle E devant NH s’est fermée en Ẹ, ü senhta > sẹnhta > sẹnta. Ẹ se distingue de I en ne palatalisant pas les consonnes, la prononciation ne devient donc pas [ ’∫tɔ ] ; et pour terminer Ẹ devient [ i ] en patois sigolénois à une époque très récente.

On citera également les cas analogues de penhtrar « peindre » : üpĭncturare > penhtrar, de penhar « peigner » (lat. pĕctĭnare), de lenhèir [ li'ɲɛi ] « tas de bois de chauffage » (lat. lĭgnu, c'est à dire lĭnhnu « bois à brûler », ülĭnhnu + arĭu > lenhèir). Le mot lenga/linga « langue » semble se rattacher à cette évolution, dans la mesure où lĭngua avait un N vélaire et donc presque palatal, il est yingạ [ 'jĩg(ɔ)] à Sainte-Sigolène, lhengạ [ 'ʎgå ] ou lhingạ [ 'ʎĩgå ] pour le Lizieux. Il est tout à fait possible que Ẹ ait palatalisé L par exception des autres consonnes, car il semble bien que la palatalisation de L soit plus ancienne que les autres.

Mais nous devons aussi dire que la réalité n'obéit pas totalement au schéma que nous dessinons ici, ainsi cengla « sangle, ceinture » est [ ’slj(ɔ) ] alors que son origine cĭngula laisserait supposer un traitement analogue à lĭngua et donc [ ’sĩlj(ɔ) ]. D'autre part, le L de lenhèir n'est pas palatal contrairement à celui de l(h)enga/l(h)inga.

Même si nous n'avons pas totalement déterminé les conditions du passage de EN à IN, nous pouvons au moins indiquer une règle absolue qui est que E reste E quand il est devant un N qui n'a jamais été palatal: vent, cent, bren, chalendas « Noël », divendres « vendredi », diomenja « dimanche », entamenar, entre, … et que les cas où EN devient IN apparaissent toujours dans un contexte où N était anciennement palatal .

Autres cas

Il y a quelques cas, où sans raison bien identifiée, E et I sont utilisés concurremment pour le même mot. Nous avons déjà cité Santa-Segolena [ sta søgu’lønɔ ] et Santa-Sigolèna [ sta ∫igu’lenɔ ], mais nous pouvons ajouter trefòla [ tʀø'fɔl(ɔ) ] et trifòla [ tʀi'fɔl(ɔ) ] « pomme de terre ».

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Auteur: Didier Grange - 2014- modifié- 2021     /     [ Télécharger l'ouvrage ]


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